En cette année 2019,
la commémoration du « 11 novembre 1918 »
s’est déroulée dans la cour d’honneur du lycée
le mardi 12 novembre à 17 heures
sous la présidence
de la Proviseure du Lycée, Isabelle de Loupy
Reportage photo de Jean-Pierre Regnault
Poèmes choisis et lus par deux élèves de TES2, la classe de Joël Larre, professeur d’histoire
Isabelle de Loupy rappelle les symboles attachés à cette cérémonie
Propos introductif
d’Isabelle de LOUPY
Proviseure
Le lundi 11 novembre 1918, à 11 heures, dans toute la France, les cloches sonnent à la volée : un armistice a été conclu le matin même entre les Alliés et l’Allemagne.
Côté français, les acteurs de cet armistice sont le généralissime des troupes alliées, Ferdinand Foch, et le chef du gouvernement, Georges Clemenceau.
La guerre, qui a duré quatre ans, est suspendue.
Nous sommes réunis aujourd’hui pour commémorer l’armistice de cette guerre, 101 ans après sa fin. Car la commémoration du 11 novembre nous concerne tous et doit nous parler à tous, surtout à vous, les élèves.
La guerre de 14-18, en effet, est la première guerre pleinement nationale qu’ait connue la France. Presque toutes les familles ont un homme appelé sous les drapeaux ; la plupart connaissent le deuil et la souffrance. Pour la première fois aussi, des soldats viennent des colonies se battre aux côtés des métropolitains. Et la Grande Guerre marque les esprits et les chairs par ses atrocités.
Elle laisse derrière elle 18 millions de morts, militaires et civils, et des millions de mutilés.
A l’armistice, les survivants se disent : « plus jamais ça ». Bien sûr, nous savons que la guerre de 14-18 n’a pas été la « der des der », comme ils le souhaitaient.
Mais elle est sans doute à l’origine d’un mouvement qui conduira, bien plus tard, à la fondation de l’Union européenne.
« Plus jamais ça », plus jamais de guerre avec son cortège de morts et d’atrocités. Et, pour cela, vivons en paix avec les pays voisins.
Chaque année, la commémoration du 11 novembre célèbre la mémoire des victimes de la Grande Guerre, des victimes de toutes les guerres. Elle rappelle aussi à chacun de nous que la paix et la prospérité sont précaires ; elles ne peuvent exister qu’au prix de la cohésion entre les nations. Sans cette cohésion, les morts et les atrocités de la guerre peuvent revenir chez nous.
Alwen Texier lit des poèmes de Paul Verlet et de Cécile Périn
Le testament du fantassin
Si je meurs, mes amis d’espoir et de misère,
Vous m’ensevelirez sans cercueil dans la terre.
Que m’importe le coin ! Face aux fils barbelés,
Dans le trou d’obus neuf, marneux, roussi, pelé,
Sous un peu d’herbe verte, ou dans notre tranchée,
Sous le tronc qui bénit de sa branche arrachée,
Sous le cheval crevé, sous le clocher flambé,
Mais gardez-moi le sol où je serai tombé ;
Vos yeux se mouilleront et vos mains maternelles
Auront des gestes doux pour me remplacer celles
De ma mère dont les amours me manqueront.
Et vous disposerez mes cheveux sur mon front,
Vos mots d’adieu seront la chaleur qui dorlote.
Et vous boutonnerez sur mon sang ma capote,
Vous croiserez mes doigts, que je parte plus beau,
Comme un chrétien paisible, au seuil du grand repos.
Vous me couvrirez bien de terre parfumée,
De celle d’où je viens et que j’ai tant aimée ;
Vous l’épandrez sur moi comme un velours de Mort…
Son âme épousera la forme de mon corps,
Et, fier de mes vingt ans engrenés dans la glaise,
Je pourrirai content dans ma terre française ;
Puis, sur mon tertre nu, vous mettrez une croix.
Vous prierez coude à coude une suprême fois ;
Vous trouverez la plus sublime des prières,
Et mon tombeau sera plus grand qu’un cimetière ;
Vos gros doigts, en tremblant, rangeront mon massif.
Gravé par vos couteaux, d’ornements très naïfs
Enjolivé, mon nom vivra sur une branche,
Roi d’un palais d’éclats d’obus, de pierres blanches.
Sur le sol éventré, s’il sourit une fleur
Ou deux, portez-les moi ! Je préfère qu’un cœur
De mes soldats me garde un peu d’amour qui veille.
Vous écrirez mon âge aussi dans la bouteille…
Quand, vainqueurs, vous aurez retrouvé votre seuil,
Dites, songeant à moi sans retour, sans cercueil,
Ces simples mots qui sont d’immortelle semence :
« C’était un brave gars. Il est mort pour la France ! »
Paul Verlet
Beaucoup ne verront plus …
Beaucoup de verront plus palpiter la lumière,
Ni l’éclat délicat des matins de printemps
Un doux soleil entr’ouvre en vain les primevères ;
Je pense aux jeunes morts qui n’avaient pas vingt ans.
Le destin les coucha dans l’ombre, à peine en vie.
Et les vieillards et les femmes regarderont,
La flamme vacillant dans ces mains engourdies,
S’éteindre les divins flambeaux;-et survivront.
Mais ils ne pourront plus connaître cette ivresse
Qui les envahissaient, jadis, au temps joyeux.
Pour un rayon posé sur les pousses qui naissent,
Pour un jeune arbre en fleur, pour un pan de ciel bleu.
Ils n’auront plus jamais l’exaltation douce
De ceux que la beauté seule autrefois rythmait.
Le coeur se souviendra de l’horrible secousse
Quand l’oubli s’étendra dans les jardins de mai.
Cécile Périn, Les Captives
Témoignage de Bernard ALLAIRE,
Président d’honneur
de l’Amicale des Anciens Elèves
des Lycées Clemenceau et Jules Verne
Chers amis, qui avez nos lycées au cœur, en ce soir de Commémoration de l’Armistice, je m’interroge.
Au-delà de l’émotion et du sentiment d’effarement qui revient chaque année en ce moment si particulier, que dire en effet, qui soit nouveau, consolateur, porteur d’espérance ; qui soit respectueux des acteurs-victimes de cette tragédie ; et qui, dans le même temps, ne soit aucunement le prétexte à une apologie des tueries de masse ?
Alors je me suis dit que peut-être la douceur d’une illustration du passé pourrait nous inspirer et raviver le présent ?
Nul n’est évidemment totalement exemplaire. Même les meilleurs.
Mais il arrive parfois que certains soient « un peu plus meilleurs » que d’autres.
C’est le cas de quelqu’un dont je voudrais témoigner aujourd’hui. Qui, outre le fait qu’il a été lui-même élève de notre lycée Clemenceau, puis membre de l’Amicale des anciens élèves, a évidemment un lien particulièrement fort avec notre sujet de ce soir : la Commémoration du second Armistice du 11 novembre 1918.
Si je dis « second », c’est qu’en effet il a été précédé d’un premier, dit « Armistice de Salonique », le 27 septembre 1918, demandé par la Bulgarie, alors massivement défaite en Macédoine et en Serbie par l’armée d’Orient envoyée de France dans les Balkans par Clemenceau, et commandée par le général Franchet d’Espérey.
Ceci fut déterminant pour la suite. En effet, pour les Allemands, dont les Bulgares étaient de précieux alliés sur le front Est, ce fut la confirmation de l’effondrement. Ce qui les conduisit à demander à leur tour l’Armistice, lequel se concrétisa en cet illustre jour du 18 novembre, soit 75 jours après.
Or il se trouve que l’homme dont je voudrais vous parler, y était justement, à Salonique, depuis mai 1917 ! (Après avoir fait la Marne, la Somme, la Champagne, et Verdun à partir de1914).
Affecté comme brancardier (au civil, il était pharmacien), puis comme faisant fonction de médecin du bataillon, il n’est revenu de Salonique (en bateau hôpital) qu’en avril 1919 pour être officiellement démobilisé en juillet 1919.
C’est pourquoi je persiste d’ailleurs à rappeler qu’il convient de parler de la guerre « 14-19 ». Et non pas 14-18.
De retour en France (en proie au paludisme) il n’a de cesse que la solidarité et l’entraide avec ses anciens compagnons ne s’effrite pas.
1925, il fonde l’Amicale des Poilus d’Orient de Loire Inférieure dont il est élu Président (Il le sera sans interruption jusqu’à sa mort en 1954). Président d’honneur : Aristide Briand, ancien ministre, Prix Nobel de la Paix 1926. Et ancien élève du lycée Clemenceau.
Puis il devient Vice-Président National de la Fédération des Anciens Combattants d’Orient qui regroupe alors soixante associations départementales).
Au palmarès de ses décorations et distinctions honorifiques : Croix du Combattant, Aigle Blanc de Serbie, Croix de Saint-Sava, médaille commémorative d’Orient, médaille commémorative yougoslave, médaille de la Victoire, médaille des épidémies, Légion d’Honneur, Palmes Académiques…
Par ailleurs, alors qu’il est pharmacien, il entreprend ses études de médecine, passe sa thèse et commence d’exercer comme médecin à Nantes. (1929).
Puis vient le temps de la Seconde Guerre mondiale.
Mobilisé de nouveau, cette fois comme Pharmacien-Capitaine et chef de labo posté à Quimper. Il est fait prisonnier jusqu’en juillet 1940.
Inscrit comme otage nantais jusqu’en février 1942, volontaire Défense Passive, médecin pour les juifs persécutés…
Et ce fut ma naissance en pleine Occupation (1941).
Vous l’aurez peut-être deviné, cet homme était mon père (né en 1889).
De sa vie, si riche, si engagée, que m’a-t-il donc transmis de si précieux qui nous soit possiblement utile à toutes et tous aujourd’hui ?
Cela tient en un seul poème, qu’il avait tant souhaité que je l’apprenne.
« C’était un Espagnol de l’armée en déroute
Qui se traînait sanglant sur le bord de la route,
Râlant, brisé, livide, et mort plus qu’à moitié.
Et qui disait: » A boire! à boire par pitié ! »
Mon père, ému, tendit à son housard fidèle
Une gourde de rhum qui pendait à sa selle,
Et dit: « Tiens, donne à boire à ce pauvre blessé. »
Tout à coup, au moment où le housard baissé
Se penchait vers lui, l’homme, une espèce de maure,
Saisit un pistolet qu’il étreignait encore,
Et vise au front mon père en criant: « Caramba! »
Le coup passa si près que le chapeau tomba
Et que le cheval fit un écart en arrière.
« Donne-lui tout de même à boire », dit mon père. »
Victor Hugo – La Légende des Siècles – Après la bataille
On me rétorquera qu’il s’agit là d’une posture idéaliste, qui semble avoir bien peu de prise sur les identitarismes et communautarismes qui font fureur à l’heure actuelle dans ce monde en proie à la pulsion d’essentialiser.
L’objection est tout à fait juste.
Raison de plus pour nous regrouper et revendiquer cet idéal ! Sans jamais cesser d’espérer de magnifiques renversements de l’Histoire ; telle, improbable, cette chute du Mur de Berlin dont on célèbre par ailleurs le 30ème anniversaire !
Voilà tout le bonheur hyper réaliste que je nous souhaite ! Et que je réitère au travers de cette citation d’Aristide Briand :
« Quand on s’est battu comme nous nous sommes battus, et quand, après la victoire on retrouve son ancien adversaire, on a le droit de lui dire : « est-ce que ce sera toujours la même chose ? Est-ce qu’il faudra recommencer tous les dix ans ? » Et quand on pense aux ruines que la victoire laisse dans un pays victorieux, quand on pense aux richesses anéanties pour des années, à toute l’énorme perte de substances matérielles et morales qu’implique la guerre, chercher à éviter cela, c’est peut-être bien un effet de la maladie du « Messianisme », mais si vraiment il est des maladies qui peuvent engendrer de pareilles idées, bénies soient ces maladies ! »
Aristide Briand, justement cité par mon père, qui était l’un de ses amis, lors de son allocution radiodiffusée le 13 juillet 1937 pour l’inauguration de la plaque commémorative Aristide Briand à Nantes.
Mon père ?
Ne me demandez pas son nom. Sachez seulement que ce n’est pas le même que le mien. Car s’il a su m’aimer, et me faire aimer son message, s’il a su me transmettre cette vérité que même pour un patriote, il n’y a jamais d’ennemi héréditaire, en revanche, du fait de sa vie double et de la bien-pensance de l’époque, il n’a pas su me rendre « héréditaire » de son nom.
Mais il reste à mes yeux ce vrai et humble héros de 14-19 et de 39-45, qui a disparu à l’aube de mes 13 ans.
Alors, d’autant plus ce soir, rendons hommage à tous ceux qui lui ont ressemblé, et pareillement, à tous leurs enfants et petits-enfants !
Allocution d’Evelyne KIRN
Vice-présidente
de l’Amicale des Anciens Elèves
Madame La Proviseure,
Mesdames, Messieurs ,
En l’absence de notre Président, Monsieur Didier Borel, empêché, quelques mots au nom de notre association.
Nous nous trouvons ce soir réunis devant le monument inauguré par Georges Clemenceau lui même, le 27 mai 1922, comme en fait foi la photo publiée dans l’ILLUSTRATION de l’époque, au titre particulièrement d’ancien élève de ce lycée et de membre de notre Amicale.
Le fondateur de notre Amicale, Alphonse Gautté, et Président de celle ci de 1873 à 1922, camarade de promotion d’ailleurs de Clemenceau a oeuvré pour qu’il soit érigé au milieu de cette cour, ce qui est exceptionnel dans le cadre d’un établissement éducatif, afin de rappeler comme il le disait le 22 juin 1919,
« la victoire, la victoire du droit et de la justice sous une forme matérielle et artistique, aux élèves du lycée, aux jeunes qui le fréquenteront, la vaillance et l’héroïsme de leurs aînés.
Le monument est élevé à la mémoire des morts, des disparus, des combattants, élèves et professeurs, en témoignage de reconnaissance et d’admiration ».
Il est composé d’un bas relief en bronze, oeuvre de Siméon Foucault, ancien élève lui même qui a offert une partie de son talent et un autre ancien élève, l’architecte Charles Guigner le mettra en valeur par la stèle en pierre blanche qui l’encadre et ce sans aucune contrepartie.
Siméon Foucault avait remporté le premier Grand Prix de Rome en 1912, fait aussi toute la guerre dans le 65ème régiment d’infanterie, mais étant ensuite retourné à la villa Médicis n’assista pas à l’inauguration de son œuvre. Il venait de présenter sa maquette après avoir concouru et remporté le premier prix du concours du monument aux morts de Saint Nazaire quand il décéda subitement à 39 ans en 1923.
Le 1er novembre 1922, à l’initiative toujours de notre amicale, une guirlande de feuillages entourée d’un ruban tricolore a été attachée au monument et le 11 novembre un drapeau posé sur son faîte.
Il a été décidé en 1923 de renouveler tous les ans aux mêmes dates ces hommages qui deviendront une tradition (discours du secrétaire de la Société Amicale, devenue notre amicale actuelle)
Les noms des 300 morts connus en 1923 sont inscrits sur les murs du parloir car la place manquait sur le monument. Il est à noter qu’au fil des années, la liste s’est allongée, sans cesse rectifiée et n’est sans doute pas encore complète.
L’Amicale a également mis en chantier dès 1919 un « Livre d ‘or » de la guerre qui comporte 80 pages.
Ce bref rappel historique pour vous faire comprendre l’attachement que l’Amicale porte à cette cérémonie du souvenir, soutenue en cela par la direction et l’administration de ce lycée, que nous remercions particulièrement, et de plus en plus par les professeurs et les élèves ce dont nous nous réjouissons.
Ce monument est dédié aux disparus de la Grande Guerre puisqu’il a été érigé tout de suite après et que l’on peut imaginer comme l’écrivait mon père, Georges Kirn, interprète au dépôt de prisonniers de Saint Nazaire déjà le 1er novembre 1915, à sa fiancée, à Paris :
« Que de larmes partout ! Que de familles en deuil ! Et que Paris doit être morne avec ses cimetières pleins de fleurs ».
Plus tard, il pourra se recueillir devant ce monument, passant régulièrement devant pendant toute sa carrière de professeur dans ce lycée, pensant à son frère Fernand et à son cousin, morts pour la France.
Le 11 novembre est désormais le jour de la commémoration de tous les disparus de toutes les guerres, c’est pourquoi la liste sur les murs du parloir s’est allongée et comment ne pas évoquer l’inauguration du monument érigé à Paris hier par le Président de la République dédié aux 549 personnes disparues depuis 1963 en « opérations extérieures », signe qu’un tel hommage n’est pas désuet et est nécessaire pour honorer le « devoir de mémoire » .
Dépôt de la gerbe du Lycée et de celle de l’Amicale des Anciens Elèves
au pied du Monument aux morts
Prise de parole de Jean-Louis LITERS,
Président
du Comité de l’Histoire du lycée Clemenceau
et lecture finale par l’historien Jean BOURGEON
auteur des chroniques Nos Annés Cruelles
sur le site Nos Ans Criés
Madame la Proviseure,
Chers Amis du Lycée
Il y a un an, avec professeurs et élèves, nous commémorions dans cette cour d’honneur l’armistice du 11 novembre 1918 puis, en février dernier, les cent ans du nom Clemenceau donné à notre lycée. De hautes autorités de l’Etat, François de Rugy, ministre d’Etat, et Geneviève Darrieussecq, secrétaire d’Etat auprès de la ministre des Armées, nous accompagnèrent dans ces célébrations.
Près de trois cent anciens élèves de ce lycée sont morts au cours de la Première Guerre mondiale. Aussi, depuis 2013, sur un site dédié, créé et administré par le Comité de l’Histoire avec l’appui de l’Amicale des Anciens Elèves et du lycée, nous avons publié les chroniques de ces années de guerre et continuons à honorer les morts du lycée pour la France.
Au fil de 1204 chroniques journalières, souvent illustrées de documents, écrites à partir des rapports du proviseur de l’époque et des directeurs des écoles de Nantes, des journaux Le Phare et Le Populaire, des mémoires ou correspondances de quelques grandes figures du lycée tel que Clemenceau, les généraux Guillaumat et Buat, les simples soldats Jacques Vaché, Alphonse de Châteaubriant et d’autres, le visiteur de notre site devient le témoin de ces années cruelles, vécues au lycée, à Nantes ou sur le Front des combats.
Ce travail titanesque qui est aussi une leçon pour aujourd’hui nous le devons à notre ami historien Jean Bourgeon. Au delà de la permanence du site, nous envisageons avec l’aide de l’Amicale des Anciens Elèves une publication de ces chroniques. Elle sera en un nombre limité d’exemplaires. Que ceux et celles qui seraient intéressés nous le fassent savoir.
La dernière chronique publiée porte sur le 20 juillet 1919. La directrice de l’école de filles du boulevard de la Colinière, Henriette Viaud, commence la rédaction de son rapport de fin d’année. Elle veut tirer les leçons du conflit qui se termine et des raisons d’espérer en l’avenir.
Avec Jean Bourgeon, relisons ces lignes et, à l’aune des drames d’aujourd’hui, livrons-nous à la réflexion nécessaire.
« L’on peut dire sans être taxé d’exagération, que l’énergie, l’endurance des enfants, toutes proportions gardées, n’ont pas été moindres que celles des poilus leurs grands frères ou leurs pères. Dans cette terrible guerre, des plus grands aux plus petits, la France a le droit d’être fière.
La France toute entière et en particulier nos écoles vont reprendre les travaux de paix qu’elles n’auraient jamais voulu interrompre.
Sans donner aux élèves des leçons de haine qui ne conviendrait pas à notre caractère national, apprenons-leur cependant à ne rien oublier.
Il faut que la plus terrible leçon que jamais l’Histoire des peuples ait eue à enregistrer n’ait pas été vaine et que la date de la Victoire marque une nouvelle ère où toutes nos qualités natives soient intensifiées.
Nous avons montré que la légèreté française n’était qu’à la surface. Que cette mousse de notre esprit cachait un fond sérieux, que notre gaieté n’était pas indifférence. Souhaitons que notre contact avec nos Alliés ne soit pas inutile et, sans perdre notre originalité, sachons joindre à nos qualités celles qui nous ont frappé chez eux : ordre, méthode, incitation hardie, esprit de décision rapide, nullement entravé par une bureaucratie surannée, calme qui n’exclut pas la vivacité des sentiments.
Que la leçon soit féconde pour que la postérité puisse dire : d’elle est née la transformation de l’Humanité : du plus terrible fléau est sorti le plus grand bien. Notre cauchemar est fini ! Que le réveil et les jours qui suivront soient heureux !
Aéla Mahé lit un poème d’Apollinaire tiré des Lettres à Lou
Si je mourais là-bas…
Si je mourais là-bas sur le front de l’armée
Tu pleurerais un jour ô Lou ma bien-aimée
Et puis mon souvenir s’éteindrait comme meurt
Un obus éclatant sur le front de l’armée
Un bel obus semblable aux mimosas en fleur
Et puis ce souvenir éclaté dans l’espace
Couvrirait de mon sang le monde tout entier
La mer les monts les vals et l’étoile qui passe
Les soleils merveilleux mûrissant dans l’espace
Comme font les fruits d’or autour de Baratier
Souvenir oublié vivant dans toutes choses
Je rougirais le bout de tes jolis seins roses
Je rougirais ta bouche et tes cheveux sanglants
Tu ne vieillirais point toutes ces belles choses
Rajeuniraient toujours pour leurs destins galants
Le fatal giclement de mon sang sur le monde
Donnerait au soleil plus de vive clarté
Aux fleurs plus de couleur plus de vitesse à l’onde
Un amour inouï descendrait sur le monde
L’amant serait plus fort dans ton corps écarté
Lou si je meurs là-bas souvenir qu’on oublie
– Souviens-t’en quelquefois aux instants de folie
De jeunesse et d’amour et d’éclatante ardeur –
Mon sang c’est la fontaine ardente du bonheur
Et sois la plus heureuse étant la plus jolie
Ô mon unique amour et ma grande folie
30 janvier 1915, Nîmes.
Dépôt de la gerbe du Comité de l’Histoire au pied de la stèle Georges Clemenceau