François de Rugy,
ministre d’Etat,
ministre de la transition écologique et solidaire,
ancien président de l’Assemblée Nationale,
a présidé au lycée
la commémoration
des cent ans de l’armistice de 1918
Intervention au lycée Clemenceau
du Ministre d’Etat François de Rugy.
Nantes, lundi 12 novembre 1918
Monsieur le secrétaire général,
Mesdames et messieurs les élus,
Madame la directrice de l’Office nationale des anciens combattants et victimes de guerre,
Madame la proviseure,
Mesdames et messieurs les professeurs et personnels de l’établissement,
Mesdames et messieurs,
Chers élèves du lycée Clemenceau,
Je suis très heureux de vous retrouver ici, dans ce lycée Clemenceau où j’ai tant de souvenirs.
Je n’y ai pas étudié pourtant, mais ma mère y a enseigné pendant vingt-cinq ans et, lorsque je sortais de ma petite école primaire et que je la rejoignais, je me souviens comme j’étais impressionné par la majesté des lieux. Si vous m’autorisez une confidence, je rêvais qu’elle en devienne la proviseure, pour pouvoir habiter là…
Les bâtiments étaient moins bien entretenus au temps de Clemenceau, dans les années 1850, quand le jeune Vendéen vint y suivre les cours qui allaient l’emmener si loin. « Oui, j’ai passé par ce vieux lycée moisi », déclara-t-il le 28 mai 1922, quand il revint pour rendre hommage aux anciens élèves tués pendant la Première Guerre mondiale. « J’étais petit, moi aussi, au siècle dernier. En ce temps-là, les petits n’étaient pas très raisonnables. Ils avaient le nez insolent, la bouche mordante et du bon soleil dans les yeux. »
Clemenceau, en effet, n’était pas un élève modèle. Intelligent, brillant, il a tout de même obtenu son baccalauréat ici. Son père lui avait d’ailleurs promis dix francs s’il réussissait à l’examen. À 87 ans, il pestait encore de ne pas les avoir reçus !
Il faut dire que le jeune Clemenceau, en classe, était un élève agité et revendicatif : il trouvait l’enseignement de ses professeurs trop conservateur et ne pouvait s’empêcher de le leur faire savoir, ce qui lui valut quelquefois d’être exclu de la salle de classe. Son tempérament contestataire l’obligea à patienter jusqu’à la dernière année du lycée pour obtenir un premier prix de version latine et un premier prix de dissertation française.
À cette époque, nul ne pouvait se douter que cet élève insolent et brouillon donnerait son nom au lycée.
Puis il y eut toute une vie au service des idées démocratiques et de la République, Clemenceau devenant successivement député, ministre, deux fois chef du gouvernement… Et ce fut lui qui, le 11 novembre 1918, il y avait cent ans hier, annonça la victoire du haut de la tribune, dans l’hémicycle du Palais-Bourbon.
Si son nom est maintenant sur toutes les lèvres, c’est, bien sûr, en souvenir du « Père-la-Victoire », comme il fut surnommé. Mais on l’appelait aussi « le Tigre » pour son énergie, son courage, qui sont restés légendaires et, pour moi, exemplaires.
« Le courage, c’est d’aller tout droit devant soi, disait-il en 1917. On doit en souffrir, on sera haï, détesté, méprisé, on recevra de la boue, on n’aura pas d’applaudissements. Mais il faut savoir choisir entre les applaudissements d’aujourd’hui, qui sont d’un certain prix, et ceux qu’on se donne à soi-même quand, avant d’entrer dans le néant, on peut se dire : J’ai donné à mon pays tout ce que je pouvais. » Et c’est justement la définition du courage politique, celui qui s’éprouve chaque fois que nous défendons une idée à laquelle nous tenons, quand bien même l’opinion générale ne serait pas tout à fait prête.
Clemenceau, de nos jours, serait écologiste, j’en suis sûr ! Et d’ailleurs, dès 1906, il se battit pour interdire la céruse dans la peinture en bâtiment, car il savait, en bon médecin qu’il était, que ce produit hautement toxique provoquait la maladie du saturnisme chez les enfants.
Clemenceau a eu le courage de conduire la guerre. Nous devons avoir le courage de maintenir la paix.
En juin dernier, ici même, je saluais déjà les élèves de l’Erasmus Grasser Gymnasium et du lycée Clemenceau, unis dans une belle initiative franco-allemande.
Le centenaire que nous fêtons en 2018, en effet, n’est pas la victoire d’une nation sur une autre, car ces victoires-là sont toujours précaires et appellent généralement une revanche. C’est le centenaire du retour à la paix que je veux saluer, l’anniversaire à partir duquel un autre Nantais, Aristide Briand, va tenter le rapprochement franco-allemand et les « États-Unis d’Europe », ce qui lui fera mériter le Prix Nobel de la Paix en 1926.
Détruites par les progrès du nazisme dans les années 30 – ces fameuses années 30 que nous ne voulons à aucun prix voir renaître – ces idées d’intégration européenne et d’unité pacifique ont repris force après la Seconde Guerre mondiale, jusqu’à devenir notre présent et surtout notre avenir : votre avenir !
Aujourd’hui nous vivons sur un continent en paix, où les haines nationalistes essaient de revenir, mais où règnent ces valeurs de liberté sans lesquelles nous ne sommes rien.
Ces valeurs, c’est votre génération qui les fera vivre, pour bâtir le monde de demain. Comme le dit Clemenceau, quand il vint ici en 1922, à l’âge de 81 ans, devant les lycéens de l’époque : « Eh bien ! mes chers enfants, nous allons nous quitter, moi pour mourir et vous pour préparer la vie française. Vous pouvez le faire en travaillant, en faisant sans cesse des efforts, en devenant des hommes. Je ne reverrai plus sans doute votre lycée ; mais vous vivrez dans ma pensée, dans mon souvenir. Oubliez-moi ! Retroussez vos manches et faites votre destinée ! »
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